À l’occasion de l’évènement « Le Pouvoir des marques » organisé par l’Association des Agences de Conseil en Communication (AACC), Mercedes Erra (fondatrice de BETC) s’est exprimée à propos du futur de notre métier.
Le mardi 2 juillet se tenait le deuxième opus de « Le Pouvoir des marques », un évènement qui regroupe plusieurs dizaines de dirigeants et acteurs du milieu de la communication. Pour cette deuxième édition axée sur l’innovation technologique, sociale et sociétale, le Ministre de l’économie Bruno Le Maire était également présent.
La présidente executive d’Havas Worldwide et fondatrice de BETC en a donc profité pour donner son point de vue sur le futur de la publicité, et pourquoi il est temps d’agir pour faire bouger les choses. Voici son discours :
« Monsieur le Ministre, Bonjour,
Mesdames, Messieurs, Chers amis de la filière communication
De l’AACC, Et de l’Union des Marques,
Bonjour à vous tous,
Tout d’abord merci à Laurent et à toute l’AACC, de faire advenir, pour la 2ème fois, cet événement, le pouvoir des marques. Il se place cette année sous le signe de l’innovation, c’est à dire de notre capacité à changer de l’intérieur (in-novare) et à nous renouveler. C’est donc de notre futur qu’il est question.
Alors je vais vous dire mon sentiment : je suis inquiète.
Je suis inquiète pour le futur de notre métier, de nos entreprises de communication. Les agences de communication, les agences media, sont en petite forme. La profitabilité de nos entreprises n’aurait cessé de diminuer depuis 2007, passant de 8% en 2007 à 3% en 2015.
À force de ne pas reconnaître pleinement l’apport de nos métiers, on va les ruiner, car on en arrive à des aberrations, chaque jour plus délétères :
– Il devient possible de demander à des agences en compétition une campagne mondiale pour une très grande marque en deux semaines ouvrables, quand il a fallu plus de six mois à des consultants pour accoucher d’une plate-forme de marque sur un powerpoint.
– Il devient possible de prendre sa stratégie à une agence et de la donner en brief à ses concurrentes sans même lui parler de la compétition en cours.
– Il devient possible de faire concourir des agences via un grand consultant pour rien, car au bout de la compétition il n’y aura pas de marché, la compétition sera déclarée nulle et non avenue, et rééditée le mois suivant par d’autres.
– Il devient possible de remettre en cause dix ans de collaboration alors qu’on est très content de son agence juste pour voir si par hasard on ne pourrait pas gagner quelques pourcent sur sa prestation.
– Il devient possible de lancer des compétitions sans suivre aucune des règles données par l’AACC et par l’Union des Marques, sans dédommager aucunement les participants.
– Il devient possible de céder des droits monde pour toujours sur tous types de canaux, ce qui n’est pas légal mais exigé de la part de nombreux annonceurs et de leurs services achats.
– Tout devient possible, en fait.
YES, WE CAN ??
Eh bien aujourd’hui je proteste.
NO WE CAN’T.
On ne peut pas. On ne peut plus.
On ne peut pas tout accepter. On ne peut pas brader la recherche des idées, la conception des campagnes, leur articulation.
Un métier va disparaître.
Et je parie qu’il vous manquera.
Bientôt des créatifs en costume trois pièces viendront vous proposer, mesdames et messieurs les annonceurs, de mauvaises idées facturées très cher. Vous connaissez déjà leurs prix.
Les agences ont présenté presque 30% de campagnes en moins sur la Croisette cette année…
Vous, les marques, vous avez beaucoup à y perdre, car vous devez beaucoup aux garçons en bermuda et tongs, aux filles insolentes et rebelles qui peuplent nos agences, capables de passer des jours et des nuits sur un script ou un design, et à ces lieux où règne encore une liberté, une impertinence.
Dans nos agences il y a deux choses irremplaçables :
– 1, De la connaissance, d’abord, en sciences humaines, l’analyse et la compréhension de là où vont les gens, le décryptage de ce qui anime la rue, de ce qui fait bouger le monde. Les data ne sont passionnantes que lorsque l’intelligence de l’analyse, et la force de l’intuition humaine les traversent.
– 2, Une capacité rare à trouver du sens et des idées. Là il faut du talent. Et donc, il faut du respect.
Aujourd’hui pour résister à tout ce qui va écraser l’idée, les agences ont besoin de respect et d’argent.
Mesdames et Messieurs les annonceurs, ce savoir-faire, respectez-le. Et payez-le à sa juste valeur. La France est un très mauvais élève sur la rémunération des agences. Les américains et les anglais savent bien mieux payer leurs agences. Comment le coût d’un consulting de 6 mois d’une agence américaine pour une marque mondiale, peut-il valoir 5 à 6 fois ce que facturerait l’agence française pour la même marque ? Ce n’est certainement pas le niveau des planneurs stratégiques qui est en cause, mais la non-reconnaissance du talent.
L’effet de levier entre une mauvaise pub et une bonne pub, pourtant, beaucoup d’entre vous l’ont expérimenté : on multiplie jusqu’à par 12 les résultats. Cela s’appelle le pouvoir de l’idée. Alors, tout bien réfléchi cela vaut la peine de bien payer une bonne agence, dont le métier est de faire de la bonne pub.
Depuis 2007, pendant que la charge de travail augmente, nos coûts progressent davantage et la rémunération baisse, dégradant la profitabilité de notre profession.
À tel point qu’aujourd’hui les agences peinent à investir sur les talents et à recruter les niveaux stratégiques et créatifs requis. Comment accepter qu’un jeune diplômé de grande école soit beaucoup moins payé quand il va dans la pub que dans un cabinet de conseil ? Comment continuer à attirer les meilleurs ? Au jeu de la dégradation de la rémunération et de la qualité, les marques seront plus mal servies, et elles n’y ont aucun intérêt. On avait coutume de dire, quand j’ai commencé dans mon métier : on a l’agence qu’on mérite. Cela me paraît de plus en plus vrai.
Vos marques et nos agences ont aussi besoin, j’ose vous le dire, que vos équipes soient meilleures, et de ne pas être sans cesse remises en cause, harcelées par des marketers qui n’ont ni expérience ni connaissance réelle de nos métiers. La pression, l’accélération, malmènent les gens à la fois dans nos agences et chez vous.
Nous avons besoin, ensemble, de calmer le jeu, de relever le niveau de professionnalisme, et que des plus petites aux plus grandes agences, nos entreprises gagnent correctement leur vie. C’est vital des deux côtés, agence et annonceur, pour conserver de l’intelligence et du talent dans nos métiers. C’est vital pour vos marques car seules les idées fortes, puissantes, créatives, peuvent les aider à exister dans un monde de plus en plus difficile.
Je compte ardemment sur la filière, sur l’AACC, et sur l’UNION DES MARQUES »