Coronavirus : quels sont les nouveaux comportements des consommateurs ?

interview coronavirus dominque 1

Alors que la levée du confinement a été annoncée pour le 11 mai prochain, nous continuons d’interroger les professionnels de la publicité pour avoir leur retour d’expérience sur cette crise inédite. Notamment avec une question fil rouge : quel est le rôle des différents métiers dans cette crise ?

Après avoir recueilli le témoignage de Julien Scaglione, DGA chez Buzzman, sur sa vision du social media à l’ère du Covid-19, nous souhaitions connaître le point de vue d’un planneur stratégie sur la question. Métier ô combien important dans ce type de circonstance, afin de mieux comprendre les enjeux et les attentes des marques et des consommateurs. Dominique Castellano, planneur stratégique senior chez DDB, s’est prêté au jeu en acceptant de répondre à nos questions.

Hello Dominique, ça fait maintenant quelques semaines que nous sommes confinés chez nous. Est-ce que tu as senti une évolution dans ton métier de planneur stratégique depuis le début du confinement ? Quel est ton sentiment par rapport à ça ?

Bonjour,

Personnellement, les changements ont porté principalement sur la nécessité de m’organiser un peu différemment. On a l’impression de devoir jongler entre les sujets et les urgences, parfois de perdre en efficacité, avec des réunions virtuelles qui s’enchaînent… Même si on peut travailler de n’importe où avec un ordi et un smartphone, cela a demandé une adaptation qui n’a pas été aussi simple que je l’envisageais. Je pense que c’est aussi lié au fait que j’ai deux enfants (très mignons il va de soi) qui mettent un point d’honneur à venir m’interrompre toutes les 10 minutes…

Mais fondamentalement, sur le métier, cela n’a pas changé grand chose. Faire du planning, c’est quand même chercher à mettre un peu d’ordre quand tout est confus, à faire sens là où tout semble partir dans tous les sens. On est donc plutôt servi.

On a vu pas mal de marques rebondir sur le sujet du coronavirus, plus ou moins bien, avec un ton plus ou moins juste. Quel est ton point de vue par rapport à ces prises de paroles ?

En effet, ces prises de paroles sont pragmatiques pour la plupart. Opportunistes pour certaines. Les meilleures sont, selon moi, celles qui font preuve de perspective. La question n’est pas tant de savoir si les marques doivent communiquer, je pense que oui. Il n’y a pas de raison à ce que les entreprises et les marques s’en abstiennent puisqu’elles font partie de la vie des gens. Ce n’est ni le quoi, ni le comment qui pose question parce que le bon sens prévaut ici pour définir ce que l’on doit dire et comment le dire en ces moments particuliers. Ce qui m’intéresse en tant que planneur, c’est que le contexte actuel renvoie à une question plus fondamentale qu’une marque devrait peut-être se poser plus souvent. Je parle de la question existentielle : “Et si je disparaissais demain, qu’est-ce que cela changerait pour le consommateur ?”. Et, en ce moment, cette question n’est pas qu’un exercice théorique pour certaines marques, dans certaines catégories. On est bien sûr dans un cas extrême, temporaire. Mais certaines marques se rendent bien compte qu’elles ne sont pas irremplaçables, d’où peut-être leur empressement à vouloir absolument garder le lien, à dire leur utilité. Ce qui devrait nous interroger, nous qui participons à la construction des marques et nous inciter à orienter les marques vers plus d’humilité, de perspective et d’audace.

Tu pourrais me donner 2 exemples de campagne que tu as adoré et, à l’inverse, 2 campagnes que tu as détesté durant cette période ?

Alors des exemples pas terribles, il doit y en avoir à la pelle. Et je ne vais pas balancer…

Je me contenterais d’un seul bon exemple : celui de MAIF qui a pris les devants en s’engageant à maintenir le salaire de ses salariés sans recourir aux aides de l’Etat, à redistribuer 100 millions d’euros à ses sociétaires tout en les incitant à en faire don à des associations, ou à mettre à disposition des personnels soignants ses réserves de masques… Bon, voilà, ce sont des actes utiles et cohérents. Ce n’est pas de la pub mais cela montre que la marque comprend que le moment est, pour l’instant, au “care”, qu’elle fait de son mieux, à son niveau, pour accompagner ses salariés, ses clients et son environnement.

Alors une marque n’est pas obligée de se positionner à ce niveau ou en réponse directe à la crise. Tout le monde ne peut pas se le permettre. Mais elle peut contribuer autrement. Elle n’est pas non plus obligée de prendre la parole dans les grands medias traditionnels ou en RP, elle peut le faire sur les réseaux sociaux par exemple, dans une logique de proximité d’ailleurs parfaitement adaptée à la situation.

Est-ce que tu penses que les agences ont elles aussi un rôle à jouer dans la crise que nous traversons ?

Le rôle de l’agence, et plus précisément du planning, vis-à-vis de ses clients, c’est peut-être de leur rappeler que la crise va se gérer en trois temps. Le court-terme qui nécessite réactivité, agilité et pragmatisme. On y est et c’est notamment le moment du “care” dont je parlais. C’est ensuite le moyen-terme, celui de la sortie progressive de confinement et de la relance raisonnée de l’activité, parce que les consommateurs auront encore une fois d’autres priorités ou contraintes. Et enfin le long terme car cette crise impactera a priori les esprits, les comportements et les porte-monnaies durablement. Ce qui est stratégique, c’est donc d’orienter nos clients dans cet exercice d’équilibriste, et sur le long terme. Car, si on a tous eu envie de croire qu’on allait courir un 100m avec une sortie de crise rapide et indolore, on commence à comprendre qu’on est plutôt dans un marathon.

Le planning stratégique est un métier dans lequel il est essentiel d’observer et analyser les comportements des consommateurs. Est-ce que tu as déjà pu constater des “insights” intéressants ? Tu penses qu’il va ressortir quelque chose de cette crise ?

L’insight principal est tout simplement que la consommation n’est pas centrale dans la vie de chacun. On le savait, et si on l’avait oublié, cette crise nous le rappelle.
Alors oui, le boulot d’un planneur est d’observer les comportements des consommateurs, d’analyser les dernières tendances, d’être au courant de ce qui change. Et pour essayer de décrire ce qu’il se passe aujourd’hui, la métaphore du pendule, dont le mouvement oscillant est assez prévisible, est utile. On voit ainsi le retour du collectif face à l’individualisme, d’un désir de l’intervention de l’Etat vs le libre marché, de plus d’éthique vs la recherche de profit, du besoin d’experts et de faits plutôt que d’influenceurs et d’opinions ou encore l’effacement des frontières entre le public et le privé… Ce ne sont pas de nouvelles tendances mais la crise les accélère.

Mais, pour filer la métaphore, on est plutôt sur un double pendule, c’est-à-dire un pendule à l’extrémité duquel est accroché un autre pendule, dont le mouvement devient alors totalement imprévisible. Je vous renvoie vers l’étude des comportements des systèmes dynamiques et la théorie du chaos puisqu’on a le temps de flâner en ce moment… Tout ça pour dire que prévoir ce qu’il va réellement se passer à terme n’est pas évident. Et c’est pourquoi un planneur doit aussi s’intéresser à ce qui ne change pas. On ne le fait pas parce que c’est plus simple mais parce qu’il est souvent plus puissant et plus efficace de s’appuyer sur une vérité intemporelle de la nature humaine, pour paraphraser Bernbach. Et l’être humain n’a fondamentalement pas beaucoup changé depuis des milliers d’années…

Ce qui m’amène à espérer qu’il ressortira quelque chose de positif de cette crise, et, dans le même temps, à noter que ce ne serait pas la première fois qu’on traverserait une crise sans que cela ne change grand-chose. La moitié de la population mondiale pense que le monde ne sera plus le même après la pandémie. Parfait, mais il en reste donc une moitié qui ne le pense pas. Certainement celle qui n’a pas été confinée…

Pour finir, comment est-ce que tu anticipes la fin de la crise dans ton quotidien professionnel ? Tu imagines un changement profond ou plutôt un retour à la normale ?

Retour à la normale, j’espère ! Parce que, personnellement, j’ai hâte de retrouver la “normalité” de l’agence : mes collègues et amis, les bonnes vieilles réunions physiques parce que les Zoom, Webex, Teams et consorts, ça va 5mn… Bref, retrouver tout simplement les gens et l’ambiance car c’est aussi pour ça que je travaille en agence.

Enfin, parce qu’au planning, la normalité, c’est un peu la nouveauté permanente. La période s’annonce complexe mais riche en nouveautés. On va être toujours en recherche de sens nouveaux, d’une compréhension renouvelée du consommateur et de l’humain, de son environnement. Au planning, on a peut-être l’humilité de savoir qu’il y a toujours plus à savoir et que ce que l’on sait ne nous donnera pas forcément plus de contrôle sur les choses. Le planning, c’est la remise en question car, s’il y a des fondamentaux, il n’y a certainement pas de recettes aux réponses que l’on apporte à nos clients.

Donc, si à la sortie de crise, le planning, c’est toujours ce plaisir là, alors oui, retour à la normale ! Et sinon, je pars me mettre au vert ou en tour du monde en famille dès la réouverture des frontières.

Merci Dominique !

❤️ Vous avez aimé l'article ? Partagez-le ❤️
Facebook
Twitter
LinkedIn
Recevez 30 outils pour booster votre créativité 💌
en vous abonnant à notre newsletter 👇
🎁 Cadeau 🎁
Recevez 30 outils pour booster sa créativité
en vous abonnant à notre newsletter !