Appropriation culturelle : quand la communication crée des tensions identitaires

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Dior, Disney, Gucci… de nombreuses marques ont subi des vagues de critiques, depuis les cinq dernières années, au nom de l’« appropriation culturelle ». Défense contre l’oppression pour les uns, mort de la liberté d’expression pour les autres, ce concept polémique révèle les failles d’une mondialisation qui, en uniformisant les pratiques et les représentations, entraîne une perte de sens et de repères. En résulte de nouvelles formes de radicalités, de la montée du communautarisme à l’identitarisme.

L’appropriation culturelle, de quoi parle-t-on ?

« Nous comprenons que nous avons blessé beaucoup de nos frères et sœurs musulmans, et j’en suis absolument rebutée. Je n’aime pas jouer avec le manque de respect envers Dieu ou aucune autre religion. De fait, l’usage de ce morceau dans notre projet était complètement irresponsable.», déclare la chanteuse Rihanna sur son compte Instagram le 6 octobre. La jeune femme a, en effet, suscité la polémique autour de son défilé de lingerie « Savage x Fenty » le 2 octobre dernier. L’utilisation d’une chanson comportant des extraits d’un Hadith, texte sacré dans l’Islam, a entrainé des flots de critiques sur les réseaux sociaux, l’accusant d’irrespect envers la religion musulmane ainsi que d’appropriation culturelle. Mais qu’est-ce que l’appropriation culturelle ? C’est ni plus ni moins que la lutte des classes appliquée aux différentes cultures. Sont accusés les agents d’une culture considérée comme dominante, qui récupèrerait certaines pratiques, symboles ou représentations caractéristiques d’une culture « minoritaire » à des fins mercantiles. Rihanna n’est pas la seule à en avoir fait les frais : Dior avait été contraint de ne plus diffuser une publicité pour son parfum « Sauvage » qui empruntait de nombreux éléments esthétiques à la culture amérindienne. Le point commun entre les différentes campagnes de communication concernées, est le fait que l’utilisation de codes culturels étrangers vient d’un « bon sentiment » : il n’y a jamais volonté de nuire à la culture en question. L’objectif – ou du moins l’objectif manifeste – est souvent de les mettre en valeur : on cherche à célébrer toutes les cultures, dans une optique de reconnaissance. Pourtant, l’avalanche de retours négatifs est toujours au rendez-vous. Il convient alors de s’intéresser à l’origine de ce malaise.

Images tirées de la publicité Dior pour leur parfum « Sauvage »
Des symboles culturels au service d’une logique consumériste et uniformisante

L’un des principaux reproches faits à l’encontre de cette pratique est qu’elle instrumentaliserait des éléments culturels d’une grande force symbolique, les vidant de leur substance, afin d’en tirer une valeur marchande. C’est ce qui a motivé les accusations à l’encontre de Disney, qui avait commercialisé en 2017 un costume pour enfants – depuis retiré de la vente – tiré d’un personnage du film Vaiana, dont les tatouages renvoyaient à la culture polynésienne. En effet, l’Homme à un rapport presque sacré à la culture, car elle relève de l’histoire des peuples et permet leur perpétuation. Ce lien émotionnel fort en fait donc un levier marketing attrayant, au risque de se faire accuser d’une utilisation hypocrite et intéressée. Ainsi, plus qu’une réelle « appropriation culturelle », on peut dénoncer une forme d’acculturation par la mode, qui désacralise la culture en la transformant en produit de consommation interchangeable.

Costume de « Maui », personnage du film « Vaiana » de Disney

D’ailleurs, si la mode est à la récupération d’éléments de différentes cultures dites « minoritaires », c’est parce que cette démarche s’inscrit dans un mouvement plus général d’uniformisation culturelle. En effet, la mondialisation et le néolibéralisme ont poussé à l’imposition d’un modèle culturel se voulant global, fondé sur le modèle américain. Le multiculturalisme qui est ici célébré n’en a que le nom, c’est une vision vidée de sens et américanisée. C’est d’ailleurs – dans un autre registre – le reproche qui avait été fait à la chanteuse Beyoncé, avec son film « Black is King », considéré comme la représentation d’un fantasme étatsunien de l’Afrique, teinté de clichés. On peut donc considérer que, dans de nombreuses campagnes de communication, la culture fait office de langage volé pour nourrir un mythe, au sens de Roland Barthes, c’est-à-dire que ces symboles, pratiques ou représentations vont être utilisés comme cadre pour transmettre, à travers eux, un message idéologique : celui d’un sans-frontiérisme culturel.

Image tirée du trailer de « Black is King »
Un dogme sans-frontiériste aux conséquences néfastes

Ce mouvement d’uniformisation est donc justifié par une idéologie sans-frontiériste et fraternaliste. On cherche à faire tomber les frontières et converger les cultures au nom de la « fraternité humaine ». Cette démarche, qui peut naïvement paraitre altruiste, à en réalité des conséquences désastreuses sur les individus, par la perte de repères qu’elle instaure. C’est ce que défend Régis Debray dans son essai Eloge des Frontières : celles-ci sont nécessaires car elles sont la condition d’existence même des cultures. Une chose existe toujours par rapport à une autre, l’identité se fonde sur la différenciation avec autrui. Vouloir abolir ces limites, c’est provoquer le chaos, retourner à l’indifférencié. La convergence des cultures entraine une perte de sens et d’essence : ainsi, tout appartient à tout le monde, et donc à personne. La conséquence de ce mouvement est la montée d’un nouveau radicalisme. En effet, afin de pallier cette perte d’identité, nombreux sont ceux qui se replient dans un communautarisme et un mode de pensée identitaire. C’est dans cette recherche du Heimat que s’inscrit cette volonté de retour à des valeurs archaïques : « Aussi, à chaque bond dans le futur, l’appétence à retrouver la grand-mère, ou ce qu’on croit qu’elle fût, monte d’un cran ». C’est donc l’action même de ces entreprises qui, en fin de compte, est à l’origine de ces comportements inquisitoriaux. Comportements dangereux, car ils peuvent rapidement dépasser certaines limites.

Un concept dangereux et liberticide

Et c’est ici que l’on retrouve notre concept d’ « appropriation culturelle » qui, à défaut de vouloir préserver l’exception culturelle des peuples et d’encourager le métissage, cherche à enfermer les individus dans des bulles. Ce cloisonnement identitaire est étouffant : il porte atteinte à notre liberté d’expression et de création. On peut penser, par exemple, aux Beaux-Arts de Boston, contraints d’annuler leur évènement « Kimono Wednesdays » (incitant les visiteurs à essayer des kimonos japonais), après de nombreuses accusations d’appropriation culturelle. Le message est donc profondément contradictoire : adhérer à la culture est un acte oppressif, tandis que la rejeter est un acte raciste et intolérant. Ainsi, cette logique, si elle est poussée à son extrême, bloque tout forme d’échange, de communication, c’est une nouvelle forme de xénophobie. Politiquement, elle débouche sur une vision « tribale » de la société, avec la question identitaire comme considération première. Comment construire un projet politique commun si l’ethos prime sur le logos ? Enfin, il faut garder à l’esprit que toutes les civilisations sont fondées sur un mélange de cultures. La France ne s’est pas faite seule, elle résulte de différents apports étrangers. Que seraient les Etats-Unis sans l’apport culturel des immigrés Européens (irlandais, italiens, allemands…), arrivés en masse au début du XIXème ? On n’aurait probablement pas eu Les Affranchis, et ça, c’est pas cool.

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Renaud Coron

Etudiant en L3 à l'Université Paris Nanterre, je m'intéresse particulièrement à la communication, notamment l'impact social des campagnes marketing.
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