Alors que la loi « sécurité globale » vient d’être adoptée par l’assemblée nationale, Amnesty France entre dans le débat et dénonce un Etat français aux dérives sécuritaires et totalitaires, tout en cherchant à séduire une nouvelle base militante.
Ce n’est plus un secret pour personne : les différents mouvements contestataires qui ont traversé la France depuis ces dernières années, couplés à la massification des TIC et des médias sociaux, ont contribué à rendre visibles les excès de violence des forces de l’ordre. Certains mouvements en ont fait leur cible, on pense à Justice pour Adama, qui a joué des coudes pour imposer la question des violences policières dans l’espace médiatique. Réaction de l’Etat : renforcer les dispositifs de contrôle, avec la loi « sécurité globale » et son ô combien controversé article 24, qui prive les militants de leur arme de prédilection : la vidéo tournée sur téléphone, et diffusée après-coup sur les réseaux sociaux. C’est dans ce contexte qu’Amnesty International, qui a fait de la défense des droits de l’Homme son fer de lance, tire la sonnette d’alarme. Sont mis en péril, entre autres, le droit à l’information et à la liberté d’expression. De plus, l’ONG dénonce une loi qui serait un pas de plus vers la surveillance de masse. Pour marquer le coup, une campagne de communication a été élaborée, en collaboration avec DDB Paris.
Ici, c’est toute une rhétorique publicitaire qui est mise au service de la diffusion d’un message politique. Les slogans interpellent (c’est le cas de le dire…) directement le lecteur, le code couleur jaune et noir, celui d’Amnesty mais aussi celui du danger, attire l’œil, tandis que le décalage entre l’image en noir et blanc et l’aspect grotesque des dessins style BD captent redoutablement l’attention. Les photos ont deux niveaux de lecture, reflet des deux types de violences exercées par l’Etat qu’Amnesty dénonce. Le premier, celui des photos en noir et blanc, figure la violence purement physique, celle du bras armé de l’Etat. Le second, représenté par les dessins surajoutés, est la violence symbolique d’un Etat qui nie l’existence même de ces excès. L’Etat français exerce donc la violence des muscles et la violence des mots, constat appuyé par les slogans qui dénoncent une forme d’hypocrisie : « Il n’y a pas de violences policières, combien de fois faudra-t-il vous le matraquer ? ».
Il n’est donc pas réellement question de droit à l’information ou de liberté d’expression – qui ne sont d’ailleurs mentionnés nulle part sur les affiches – mais d’un constat politique fort. Max Weber disait que le pouvoir de l’Etat est fondé sur le monopole de la violence légitime. Amnesty rétorque que l’Etat abuse de ce monopole, et que les citoyens français, devant un pouvoir infondé, ont le devoir de se rebeller.
Ce message de sensibilisation, de nature clivante dans ce qu’il questionne ouvertement la légitimité de l’Etat, cible tout particulièrement une certaine base militante qu’Amnesty cherche à atteindre. En effet, cette campagne n’est pas purement désintéressée : l’ONG cherche à grossir ses rangs, en piochant chez les Gilets Jaunes ou dans le mouvement Adama Traoré, et en l’amadouant avec une rhétorique sur mesure. C’est d’autant plus clair à la vue de sa devise : « on se bat ensemble, on gagne ensemble », trônant fièrement à côté du logo, comme un appel à joindre à l’organisation pour combattre un Etat devenu totalitaire.
Cela peut faire écho à certaines critiques menées à l’encontre d’Amnesty international, qui dénonçaient le désintérêt croissant de l’organisation pour l’action de terrain, au profit du rendement et de la communication. Une enquête interne avait notamment pointé du doigt la volonté croissante de l’ONG de s’imposer, face à ses rivaux, dans l’espace médiatique, dans l’espoir de percevoir plus de financement.
En somme, cette campagne témoigne de la nécessité toujours croissante d’utiliser les ressorts du choc et de l’indignation pour se faire entendre. Sur un marché de l’information extrêmement concurrentiel, où l’attention des individus est devenue la ressource la plus recherchée, il est pratiquement impossible de faire parler d’une cause sans cibler nos émotions. Pourtant, cette démarche, en particulier quand elle est appliquée à un engagement politique, soulève plusieurs interrogations. Est-ce que provoquer des réactions offensées n’aurait pas des effets néfastes sur la qualité du débat démocratique ? Est-ce que cette démarche ne contribuerait pas plutôt à la polarisation et à l’enfermement mental des individus dans des bulles idéologiques, coupant toute perspective de dialogue et entrainant une certaine brutalisation des échanges ? Est-il réellement préférable de produire des citoyens indignés, et non pas des citoyens informés ?
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