Pour promouvoir sa nouvelle recrue, Universal joue sur la crise actuelle de la représentation politique, et présente Wejdene comme l’image d’un renouveau démocratique. Loin d’être honnête, l’image a avant tout une vocation mercantile plus que politique, et marque la politisation croissante des people, en parallèle à la peopolisation du politique.
Une pochette d’album chargée de symboles…
Le 25 septembre sort le premier album de Wejdene intitulé « 16 », dont la pochette n’aura pas manqué de faire réagir. On peut y voir la jeune chanteuse en costume rose dans un décor imitant un bureau présidentiel ou autre salon de l’Elysée, le regard moqueur tourné vers la caméra comme prêt à lancer un « ok boomer » à quiconque tentera de la critiquer. L’image détourne ouvertement le portrait officiel d’Emmanuel Macron, de la position des bras, agrippant le bureau dans une forme en « v », jusqu’à celle des drapeaux, français et européen, disposés de façon symétrique aux deux extrémités de la pièce.
Pourquoi avoir fait le choix d’une cover à tonalité politique ? La jeune femme se serait-elle trouvé une nouvelle vocation chez LREM ? Bien sûr la pochette ne se contente pas seulement de reprendre le portrait officiel, elle est un détournement plus qu’une imitation : des symboles propres à Wejdene y ont été apposés. L’âge et les origines de la chanteuse sont mis en avant, d’une part avec le gâteau d’anniversaire – à l’aspect enfantin, notamment par sa couleur qui renvoie aussi au costume – orné d’un « 16 » révélant son âge ; d’autre part avec le globe terrestre à sa gauche, centré sur l’Afrique, rappelant ses origines tunisiennes. Wejdene se pose donc comme l’image d’une nouvelle génération de Français, pour certains issus de l’immigration, prête à s’imposer comme le renouveau (notamment démocratique) du pays. Cette affirmation est appuyée par le buste de Marianne en arrière-plan, la tête orientée vers la gauche de l’image, en opposition avec la tête de la chanteuse orientée dans le sens opposé : Wejdene se montre comme une nouvelle Marianne, l’emblème national d’une jeunesse française multiculturelle.
La pochette délivre donc un message profondément politique, en mettant sur le tapis le débat autour de la représentativité des élites politiques. En effet, les mouvements contestataires qui ont parcouru la planète l’année dernière (de la France à Hong-Kong en passant par l’Algérie ou le Chili), ainsi que la chute de la confiance des Français envers la classe politique, ont révélé une crise de la démocratie représentative. Les représentants sont, en effet, perçus comme une sphère éloignée des préoccupations et problèmes réels des Français, gouvernant de façon illégitime dans leur intérêt propre. Il n’est pas étonnant que la pochette détourne le portrait d’Emmanuel Macron, président que beaucoup considèrent comme l’image même d’un gouvernement technocratique et élitiste. Wejdene entend alors représenter son public cible : une jeunesse de plus en plus impliquée politiquement dans divers mouvements sociaux (que ce soit les mouvements écologistes, LGBT ou Justice pour Adama), qui se mobilisent sur les réseaux sociaux et qui cherchent à communiquer hors des cadres de légitimité traditionnelle (jeunesse qui a, au passage, elle-même porté Wejdene au succès via l’application TikTok). Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette démarche est en continuité avec le choix de la chanteuse d’assumer pleinement sa désormais célèbre faute de français (« tu hors de ma vue »), comme réappropriation du langage en résistance à une maîtrise du français académique jugée trop élitiste.
Wejdene : artiste engagée ?
Or, il faut garder à l’esprit que Wejdene est avant tout un produit commercial, vendu par Universal Music France (chez qui elle a signé le 14 juin dernier), filiale d’une des majors de l’industrie musicale. Sans vouloir critiquer les velléités politiques de cette dernière, elle n’est pas ce qu’on pourrait appeler une chanteuse « engagée » : bref, ce n’est pas Kery James, et à défaut de mettre en image le contenu sonore de l’album, cette imagerie est évidemment utilisée comme levier marketing. Ainsi Universal réalise une opération de « purpose washing » assez évidente, elle instrumentalise certains engagements et mouvements sociaux pour mieux cibler et séduire une « génération Z ». Cette démarche peut être perçue comme hypocrite, surtout si l’on considère Universal comme une multinationale dirigée par les élites dénoncées en question. L’imagerie promotionnelle autour de l’album n’est politique qu’en apparence : à défaut de porter un réel message, elle pérennise les valeurs et les normes qu’elle parait dénoncer. En effet, l’image comporte une dimension « carnavalesque », notamment par le décalage entre Wejdene (en costume rose, enfantin) et son environnement (plus sérieux), ce qui sous-entend que cette position ne lui est absolument pas naturelle. Ainsi, on inverse la norme sociale pour mieux la perpétuer.
Vers une politisation des people et une peopolisation du politique.
Malgré l’absence d’une volonté politique réelle, la pochette est tout de même révélatrice d’un phénomène de politisation des people. En effet, dans un environnement politique où, de plus en plus, l’identité de celui qui parle prime sur ses actes, de nombreuses célébrités s’engagent, fortes de leur popularité auprès de certaines franges de la population. Il y a même des people au pouvoir : on peut penser à Volodymyr Zelenski, ancien acteur et humoriste, désormais président de l’Ukraine, ou même à Donald Trump dans une certaine mesure. Leur légitimité est bien souvent fondée sur ce que Roland Barthes appelle la « photogénie électorale », c’est-à-dire la capacité de ces élus à partager un maximum de traits communs avec leur base électorale, que ce soit dans leur image où même dans leur langage (tout comme Wejdene qui cherche à ressembler à son public cible, notamment en rejetant les règles de grammaire française). En écho, les politiques se « peopolisent », dans le but de (re)construire un lien d’identification avec le reste de la population, comme Matteo Salvini qui met en scène sa vie privée sur Facebook. Ainsi, pendant que Wejdene est à l’Elysée, Emmanuel Macron est sur TikTok, déployant des stratégies de « politique influenceur » pour tenter de se faire entendre par la jeunesse. Malgré tout, si Wejdene s’engageait réellement en politique, elle aurait plus en commun avec Jean-Marie Bigard qu’avec Joséphine Baker.