En ce mardi 7 avril, nous entamons tout juste notre troisième semaine de confinement, et avec elle, nos premières analyses. Dans une série d’interviews, nous avons voulu interroger les professionnels du secteur pour avoir leur point de vue sur la situation.
On le sait, le métier de publicitaire est un métier dans lequel il faut savoir rester sur le qui-vive, surtout sur les réseaux sociaux. Et avec cette crise, ces derniers ont pris une place encore plus importante dans nos vies. En fait, ils sont les seuls à nous permettre de garder un contact avec nos proches et le monde en général. C’est pourquoi, pour cette première interview, nous avons discuté avec Julien Scaglione, DGA en charge du Social Media chez Buzzman. Il nous a raconté son point de vue sur la crise, comment ils ont adapté la communication de leurs clients avec son équipe et comment il perçoit les usages d’aujourd’hui et de demain.
Hello Julien ! Tout d’abord, est-ce que tu peux nous expliquer comment tu as abordé, personnellement, l’arrivée de cette crise dans ton quotidien professionnel ?
Tout est arrivé très vite, tout le monde a pris la mesure de la gravité assez tard je crois, mais l’agence a su réagir très rapidement. On a demandé assez tôt aux personnes de l’agence de télétravailler dès que possible une semaine avant l’annonce du confinement.
On avait donc déjà pris le rythme lorsque l’annonce fut officielle. Dans nos métiers, c’est assez facile de travailler à distance. On a la chance de n’avoir besoin bien souvent que d’un téléphone et d’un ordinateur.
L’agence va heureusement très bien. On a donc pu dès l’annonce, se concentrer sur l’humain, sur les gens. S’assurer que tout le monde allait bien était pour nous la priorité. Que tout le monde était prêt à ce qui allait arriver. Puis, dans un deuxième temps, faire en sorte que chacun ait le matériel nécessaire pour pouvoir continuer à travailler normalement.
De mon côté, j’ai décidé de rester à Paris. Et j’ai multiplié par 1000 mon temps passé sur Zoom. Je fais en sorte d’avoir régulièrement des nouvelles des personnes de l’équipe, mais aussi d’en donner (sur les sujets en cours, l’agence, …) et faire en sorte que les choses continuent d’avancer.
Est-ce que tu as mis en place des nouveaux moyens pour continuer d’échanger avec ton équipe ? Et avec tes clients ?
Chez Buzzman (à l’agence j’entends) on est volontairement peu procéduriers. Georges a toujours parlé de joyeux bordel et c’est un peu toujours le cas. Donc tout se fait naturellement et simplement : on évite au maximum les réunions, on ouvre une porte, on écrit un mail, on se parle sur WhatsApp… les choses avancent vite.
En ce moment on passe nos journées sur Zoom (qu’on peut largement suspecter d’être à l’origine de tout ça) et on s’appelle beaucoup plus souvent aussi. Mais surtout on a créé des groupes WhatsApp pour tous nos clients, en interne avec les équipes, mais aussi avec nos clients directement dans les boucles. On essaie de se rendre un maximum disponible et d’être le plus souple et agile possible car la période est stressante pour tout le monde.
Le revers de la médaille : on a l’impression que travailler à distance rallonge les points. Parfois on a le sentiment d’être une « trop grosse » agence avec des créneaux de 1h remplis toute la journée alors qu’une discussion de 15 minutes suffirait… Mais heureusement tout continue de bien rouler.
Comment est-ce que vous avez adapté la communication de vos clients ? Qu’est-ce que vous leur avez recommandé ?
Dans un premier temps et de manière assez évidente, on a recommandé à tous nos clients de faire une pause et de prendre un peu de recul pour bien comprendre ce qu’il se passait. Prendre la mesure des choses et, à ce moment là, savoir si on avait quelque chose à dire, si on pouvait être utile à la cause, ou si on pouvait être attendus ailleurs.
Dans un moment pareil, les marques ont forcément un rôle à jouer. Que ce soit pour montrer l’exemple, être vraiment utile à la cause et/ou la soutenir du mieux qu’elles peuvent. Parfois aussi, certaines marques peuvent être attendues très différemment en continuant à divertir les gens par exemple.
Maintenir le contact avec sa communauté, faire durer le dialogue sans couper les ponts. Je pense que c’est important de permettre aussi aux gens sur internet de se changer les idées et d’essayer de s’évader de ce contexte un peu anxiogène.
Avec le confinement, les réseaux sociaux occupent une place encore plus importante dans nos vies. Est-ce que tu as pu desceller de nouveaux usages intéressants ?
L’usage des réseaux sociaux a explosé avec le confinement. Personnellement ma comparaison de temps passé sur Instagram vs les semaines précédentes est affolante. (14h de temps d’écran mardi dernier – Alexander Kalchev si tu me lis..)
Ce n’est pas un nouvel usage mais plus que jamais l’humour règne en maître sur Internet, et en ce moment ça fait du bien. Internet ne manque jamais de génie et de créativité même dans ce genre de contexte. @Yugnat999, pour ne citer que lui, a très vite pris le pas en adaptant ses mêmes.
Beaucoup de challenges, repris par beaucoup de célébrités. Parfois utiles, parfois étonnants, et parfois juste débiles.
Une explosion de personnes qui se mettent à TikTok également. Avec plus ou moins de facilité à comprendre ne serait-ce que le fonctionnement de la plateforme… Des TikTok relayés en masse sur Instagram. Phénomène sur lequel a d’ailleurs rebondi le formidable compte @dudewithsign. Bref, plus que jamais les gens ont besoin de se divertir.
Preuve encore avec le nombres de Lives qu’on a vu exploser.
Une récente étude d’OMD annonce qu’ils ont doublé. Sur mon feed, perso, j’ai l’impression que ça a fait x10. Je ne vois plus que ça.
On voit des gens partager du rien, de l’ennui, leur quotidien… et d’autres des idées de routine pour le confinement, leur activité sportive, ou simplement ce qu’ils se préparent à manger. Le tout sous forme de tutos plus ou moins élaborés.
Beaucoup d’amis proches se sont transformés en micro influenceurs (je vous invite d’ailleurs à suivre @audiosong si comme moi vous manquez cruellement d’idée et de créativité lorsqu’il s’agit de se préparer à manger). Et ils ont vite été suivis voire même sollicités. Cela démontre parfaitement pour moi le pouvoir de l’influence de proximité. D’ailleurs, si vous voyez passer sur les réseaux sociaux des amis à vous qui partagent leur recette du homemade Whopper®, n’hésitez pas à la reproduire à votre tour, et à mentionner @burgerkingfr.
Enfin, au delà du divertissement, de nombreuses actions de solidarité sont nés encore grâce et sur les réseaux sociaux. On peut citer par exemple @fannyb qui avec @houmousetpetitpois ont monté un collectif pour aider et soutenir les personnes mobilisés pendant la crise comme le personnel des hopitaux en leur apportant à manger et du réconfort.
Ou encore @Babine_paris qui s’est associé à @assopetitcoeurdebeurre pour produire grâce à leurs imprimantes 3D des visières pour le personnel soignant.
On voit aussi beaucoup de personnes proposer un logement, une voiture… Solidarité, utilité et divertissement. Le social qu’on aime.
Le SOCIAL media n’a jamais aussi bien porté son nom.
D’ailleurs, est-ce que tu penses qu’il y a une réelle opportunité pour les marques de communiquer sur ce médium en cette période de confinement ?
Les marques ont forcément un rôle à jouer dans un moment pareil. On n’est pas obligé de fermer sa gueule.
Une étude souligne que plus de 50% des gens font d’avantage confiance aux marques qu’au gouvernement pour faire avancer les causes sociétales d’un pays ; et ce n’est pas pour rien. Elles sont aimées, suivies avec pour certaines d’entres elles de larges audiences (et donc un grand pouvoir d’influence) et souvent, de gros moyens financiers.
Les réseaux sociaux étant l’un des médias les plus consommés en cette période de confinement, forcément on peut y passer des messages et espérer toucher beaucoup de monde. À date, le meilleur exemple de communication que j’ai pu voir c’est Nike, avec « Play Inside, Play for the World ». Comme d’habitude ils réagissent vite, avec une justesse incroyable, et ça fonctionne.
Du côté de nos clients, Burger King a vite rebondi en changeant très tôt sa fameuse devanture de restaurants « Home Of The Whopper » pour n’afficher que « Stay home ».
On a également dévoilé les recettes de nos produits cultes comme le Whopper® ou le Steakhouse à reproduire facilement à la maison avec des produits que l’on trouve en super et hyper marchés.
https://www.facebook.com/burgerkingfranceofficiel/posts/1477456069081695
L’idée a sur-performé auprès de nos abonnés mais elle a aussi rapidement fait le tour du monde avec des relais dans Konbini, GQ, le New Fork post ou Forbes
Dans un autre registre, notre client Boursorama Banque a annoncé plusieurs mesures d’aide et de solidarité pour tous ses clients.
On peut aussi citer d’autres marques avec des initiatives très fortes, comme la Maif, Décathlon, LVMH bien sur et de nombreuses autres, qui au delà de la communication mettent tout ce qu’elles peuvent, que ce soit une expertise, une chaine de production, ou de l’argent, pour aider, pour être solidaires.
En effet, votre dernière prise de parole pour Burger King avec les recettes à faire chez soi a cartonné en France et à l’international (avec plusieurs parutions dans des médias américains par exemple). N’aviez-vous pas peur de prendre un risque en “surfant” sur le contexte actuel (comme on a pu le voir chez d’autres marques) ? Quel a été l’élément différenciant pour vous à ton avis ?
Burger King a toujours su créer et nourrir une relation très proche et complice avec sa communauté, avec ses clients et ses fans. Après avoir discuté et réfléchi avec notre client on s’est très vite dit que la marque pouvait continuer à jouer ce rôle dans le fil d’actualité des personnes qui la suivent.
Cette idée est loin d’être opportuniste en voulant juste surfer sur le contexte, puisqu’on met en avant d’autres marques que la notre pour reproduire nos burgers. Quoi qu’on en dise, avec tous les restaurants fermés, il y a une grande impatience et une frustration qui s’installe. C’est presque un service rendu à toutes ces personnes qui prennent leur mal en patience en attendant leur prochain Whopper.
Elle fonctionne car elle est juste par rapport au contexte. Inattendu de la part de Burger King (permettre de reproduire le Whopper à la maison va presque à l’encontre du business) mais paradoxalement très attendu pour toutes les personnes qui ont envie de se faire plaisir pendant le confinement avec leur burger favori.
Et évidemment, ça reste une idée maline pour parler de nos produits alors que personne n’y a accès dans ce contexte.
Et pour l’après ? Comment est-ce que tu anticipes la fin de la crise dans ton métier et pour les clients ?
Déjà, je crois qu’on a tous un peu hâte de se retrouver, se revoir à l’agence et en dehors. C’est un métier humain la publicité. On a besoin de se voir, de parler, de s’amuser pour être fort ensemble. James Murphy, un des fondateurs de Adam and Eve parle des agences comme un gang, et un gang continuellement en télétravail je ne sais pas si ça reste créatif et efficace longtemps.
Du côté des marques, elles vont toutes vouloir s’emparer de la sortie du confinement. Il faudra encore plus que jamais être juste, et le plus créatif possible pour être visible et gagner la guerre sempiternelle de l’attention. Et comme d’habitude, ce seront les marques qui comprendront (et aimeront) le mieux les gens, leurs attentes, et qui s’adapteront le mieux au contexte qui gagneront.